La Belle Époque ou l’art de se fabriquer soi-même
On la croisait dans les salons du Faubourg, sous les lustres de l’Opéra, ou sur les photographies retouchées à la gouache. Elle portait des gants, une taille impossible, un regard savamment éteint. La presse la nommait avec un mélange d’admiration et de reproche : une beauté professionnelle. L’expression, à la Belle Époque, désignait un type de femme qui semblait avoir fait métier de son apparence. Trop parfaite pour être naturelle, trop calculée pour être simplement belle. Elle appartenait à cette génération de visages qui découvraient que l’image pouvait être un métier — ce qui, avouons-le, n’a pas beaucoup changé depuis.

Quand la beauté devient une compétence professionnelle
Le tournant du siècle voit se mettre en place une société du regard qui nous rappellera quelque chose. L’essor des journaux illustrés, de la photographie, des expositions universelles et de la publicité transforme la perception de soi. Être belle n’est plus un don, c’est une compétence. On apprend à poser, à se tenir, à se maquiller. Les manuels de politesse cèdent la place aux guides de maintien, les codes aristocratiques aux recettes d’institut. La beauté devient un savoir-faire — et, comme tout savoir-faire, elle s’enseigne, s’évalue, se vend.
Les maisons de couture recrutent des mannequins pour présenter leurs modèles ; les photographes mondains fixent des standards de posture ; les parfumeurs se rêvent chimistes du désir. Le corps féminin devient à la fois instrument et vitrine, surface d’inscription d’un art moderne : celui de la présentation de soi. Dans ce nouveau monde visuel, les femmes qui maîtrisent leur image sont à la fois enviées et soupçonnées. On les admire pour leur contrôle, mais on leur reproche aussitôt d’avoir trop compris le système. La beauté professionnelle, c’est la beauté consciente d’elle-même : celle qui sait ce qu’elle fait. Et cela, dans la France fin-de-siècle, passe encore pour une faute. Certaines choses, décidément, traversent les époques.

