Le cercle de Mougins : quand les surréalistes jouaient à la révolution sous le soleil de 1937

Thierry Grizard

31 août 2025

Le cercle de Mougins

Une parenthèse enchantée et libertaire dans un monde qui s'apprête à basculer. L'été 1937 où Picasso, Lee Miller, Man Ray, Éluard et quelques autres réinventent l'art de vivre, entre créations authentiques et ambitions personnelles.

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Quand l’Europe vacille, les artistes s’amusent

L’été 1937. L’Europe tangue dangereusement. Hitler organise ses expositions jumelles à Munich : Art allemand d’un côté, Art dégénéré de l’autre. Franco écrase la République espagnole. En juin, Picasso vient d’achever Guernica, ce cri de rage exposé au Pavillon espagnol de l’Exposition universelle de Paris. Le Front populaire français chancelle déjà.

Et pourtant, ou peut-être justement à cause de cela, une joyeuse bande d’artistes s’apprête à vivre l’un des étés les plus insouciants et créatifs du siècle. Destination : Mougins, petit village perché sur les hauteurs de Cannes, où l’on circule encore à dos d’âne dans les odeurs de pin et d’olivier.

Lee Miller. Mougins.

Le préambule cornouaillais

Tout commence quelques semaines plus tôt, en juillet 1937, dans la propriété de Roland Penrose à Lambe Creek, en Cornouailles. Le collectionneur et critique d’art britannique reçoit déjà cette élite surréaliste : Man Ray et sa nouvelle compagne Ady Fidelin, Paul et Nusch Éluard. Surtout, il vient de faire la conquête de Lee Miller, cette ancienne muse de Man Ray qui l’a quitté cinq ans plus tôt dans une rupture violente.

L’atmosphère est, selon les témoignages, « joyeusement érotique ». Les corps se dénudent pour les baignades dans les eaux fraîches de la Manche, les appareils photo cliquettent, et déjà s’esquissent ces échanges de partenaires qui feront la réputation sulfureuse de l’été suivant. Car comme le notera plus tard une historienne : « that summer in Mougins everyone slept with everyone ».

Le groupe est si satisfait de cette expérience libertaire qu’il décide de la prolonger en Méditerranée, où la température de l’eau favorisera davantage « nudité et baignades ».

Ady Fidelin, Lee Miller et Nusch Eluard à la Farleys House, 1937.

L’hôtel Vaste Horizon : une pension pas si simple

Direction donc Mougins, où Pablo Picasso et Dora Maar ont leurs habitudes depuis 1936. L’hôtel Vaste Horizon n’a rien du palace de la Riviera : c’est une pension toute simple, mais qui devient le théâtre d’une expérimentation artistique et humaine unique.

Le casting de cet été 1937 mérite un Balzac : Pablo Picasso, 55 ans, au sommet de sa gloire mais rongé par l’angoisse de la guerre civile espagnole. Dora Maar, 29 ans, photographe surréaliste brillante mais déjà possessive, qui voit d’un œil noir l’arrivée de cette beauté américaine. Lee Miller, 30 ans, ancienne top model devenue photographe d’avant-garde, femme libre et moderne qui fascine tous les hommes qu’elle croise. Roland Penrose, 37 ans, son nouveau compagnon, peintre amateur mais collectionneur avisé et fin stratège. Man Ray, 47 ans, qui retrouve celle qui fut sa muse et sa tornade personnelle cinq ans plus tôt – les voilà réconciliés après « a party in 1937 » où ils enterrent la hache de guerre. Paul Éluard, 42 ans, poète-phare du surréalisme, accompagné de Nusch, cette frêle danseuse qui se prête aux « jeux échangistes et triolistes de son mari ».

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