La Dolce Viva : le scandale qui faillit couler New York Magazine
Avril 1968. New York Magazine n’en est qu’à sa troisième publication. Barbara Goldsmith, journaliste fortunée et cofondatrice du magazine, livre un article intitulé « La Dolce Viva » qui deviendra une pierre angulaire du Nouveau Journalisme — et un cas d’école en matière d’abus médiatique.
L’article se présente comme un portrait de Viva, née Janet Susan Mary Hoffmann, dernière « superstar » d’Andy Warhol. Issue d’une famille catholique stricte de Syracuse, ancienne élève de la Sorbonne et modèle pour Vogue, Viva incarne alors la Factory dans ce qu’elle a de plus fascinant et de plus glauque. Goldsmith la décrit déambulant dans son appartement miteux de l’East 83rd Street, jonché de vêtements sales, de vaisselle empilée et de magazines. Les murs sont à peine visibles derrière la crasse. Les factures s’accumulent, dont celle de ConEdison, impayée.
La technique narrative de Goldsmith emprunte aux codes du roman. Les questions de la journaliste ont été supprimées, créant l’illusion de confidences spontanées. Viva semble parler seule, livrant pêle-mêle ses expériences sexuelles (« Je couchais avec lui pour des raisons de sécurité »), sa consommation de drogues introduite par Timothy Leary, sa précarité financière. L’ensemble compose le portrait d’une femme détruite par l’underground new-yorkais.
Mais ce qui transforme « La Dolce Viva » en événement médiatique, ce sont les photographies de Diane Arbus. Deux clichés en pleine page montrent Viva entièrement nue, allongée sur un canapé usé à la manière de l’Olympia de Manet, les yeux révulsés, suggérant une transe médicamenteuse. L’image est crue, impudique, sans le vernis glamour qui caractérise habituellement les publications mode.
Les réactions : entre admiration et révulsion
Tom Wolfe, figure tutélaire du Nouveau Journalisme, qualifie l’article de « trop bon pour ne pas être publié ». Il l’inclura dans son anthologie fondatrice de 1973, The New Journalism, consacrant ainsi Goldsmith parmi les pionniers du genre. Pour Wolfe, « La Dolce Viva » démonte enfin « l’écran luisant, pop, camp et amusant à travers lequel la presse avait jusqu’alors regardé Warhol et sa bande, révélant le ventre de cafard de la vie qu’ils menaient réellement. »

Les lecteurs se divisent. Le magazine reçoit des lettres enflammées, des demandes de résiliation d’abonnement, des appels téléphoniques pour et contre. La moitié des investisseurs du magazine menace de se retirer. Clay Felker, rédacteur en chef, défend son choix éditorial avec fermeté : il referait la même chose. L’intervention d’Armand Erpf, l’un des principaux investisseurs qui considère Felker comme un génie éditorial, sauvera New York Magazine de la faillite.
