Au milieu du XVIIIe siècle, Denis Diderot invente, presque à lui seul, la critique d’art moderne. Un siècle plus tard, Balzac et Flaubert en décrivent la perversion et l’agonie industrielle. L’évolution de la presse, de l’entreprise philosophique des Salons à la « fabrique de l’opinion » dépeinte dans Illusions perdues et L’Éducation sentimentale, est l’histoire d’une démocratisation qui se paie au prix de la corruption. Elle marque le passage d’une critique pensée comme une mission à une critique vécue comme une marchandise.
Diderot est bien le « premier critique d’art » au sens moderne, mais son exercice est paradoxal : il écrit pour ne pas être lu, ou si peu. Ses Salons, rédigés pour la Correspondance littéraire de son ami Grimm, sont destinés à une quinzaine d’abonnés prestigieux à travers l’Europe. C’est une gazette manuscrite, confidentielle, échappant à la censure. Dans cet écrin élitiste, Diderot est libre. Il n’a rien à vendre. Sa critique est un prolongement de son projet philosophique ; elle est prescriptive. Il ne se contente pas de décrire, il guide, il éduque, il moralise.

Lorsqu’il encense Greuze, ce n’est pas seulement un goût personnel ; c’est un acte militant. Il cherche à promouvoir un art « vrai », « touchant » et moral, capable d’élever l’âme, en opposition directe à la futilité du Rococo qu’il exècre. Diderot invente un langage pour parler de la peinture, il théorise la « poésie » d’une composition, la « vérité » d’une expression. Sa critique est un dialogue entre un philosophe et une élite éclairée, visant à former le goût et à réformer la société par l’esthétique.
