Jean-Baptiste Greuze, le peintre de la vertu et ses troublantes ambiguïtés

Thierry Grizard

12 novembre 2025

Jean-Baptiste Greuze fut le peintre de la vertu bourgeoise au XVIIIe siècle. Ses scènes morales ont conquis Diderot et le Salon. Mais derrière les jeunes filles modestes se cache de troublantes ambiguïtés ; son œuvre révèle les contradictions d'une époque.

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On croit connaître Jean-Baptiste Greuze. Peintre moral, chantre de la vertu bourgeoise, protégé de Diderot — l’histoire de l’art a figé son image dans une posture édifiante qui rassure autant qu’elle simplifie. Pourtant, derrière cette façade de respectabilité se cache un artiste infiniment plus complexe, plus ambigu, et franchement plus intéressant que ne le suggère sa réputation d’illustrateur des bons sentiments. Comment expliquer que celui qui peint L’Accordée de village, parangon de la morale familiale, exécute aussi La Cruche cassée pour la maîtresse du roi ? Que le peintre célébré pour sa critique du Rococo séduise précisément l’aristocratie libertine qu’il prétend dénoncer ?

La vérité, c’est que Greuze a navigué avec une habileté remarquable entre les aspirations d’une classe bourgeoise montante et les attentes d’une aristocratie finissante, produisant une œuvre dont l’ambiguïté fondamentale — culminant dans l’équivoque troublante de ses jeunes filles « innocentes » — remet profondément en question le caractère monolithique de sa prétendue vocation morale. Le corpus est infiniment plus riche, plus trouble et plus fascinant que ne le laisse entendre l’étiquette commode de « peintre moral ».

Jean-Baptiste Greuze. L’Accordée de village.1761.

L’Invention d’un peintre moral : stratégie et consécration

Né à Tournus en 1725, Jean-Baptiste Greuze n’appartient pas aux cercles les plus établis de l’Académie royale. Sa formation à Lyon puis à Paris se déroule à l’écart des grands ateliers, loin des fastes du Rococo triomphant. Cette position marginale sera déterminante : elle lui permettra de développer un regard différent, moins formaté par les conventions académiques. Plutôt que de se tourner vers ses brillants contemporains — Boucher, Fragonard — Greuze puise son inspiration dans la peinture de genre hollandaise et flamande du XVIIe siècle. Teniers, Dou : voilà ses maîtres véritables. De ces petits maîtres du Nord, il retient le réalisme minutieux des détails, la richesse des textures, et surtout cette attention portée à la vie domestique dans ce qu’elle a de plus prosaïque et de plus touchant.

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