Le pictorialisme et Sally Mann, secrets de fabrication

Thierry Grizard

1 octobre 2025

Le pictorialisme et Sally Mann

Chez Sally Mann, les techniques pictorialistes du XIXe siècle ne sont pas une nostalgie, mais un langage. À travers la maîtrise du collodion humide et de procédés anciens, elle façonne une œuvre contemporaine où les accidents et la lenteur du processus deviennent de puissants vecteurs d'émotion.

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Sally Mann photographie le Sud américain, sa terre natale. Elle y capture les paysages, sa famille, la décomposition des corps dans une ferme légale spécialisée. Son œuvre explore le temps, la mémoire, la mort. Elle utilise des techniques photographiques anciennes, notamment le procédé au collodion humide sur plaques de verre. Ce choix n’est pas anodin. Il ancre sa pratique dans une histoire de la photographie et confère à ses images une matérialité singulière. L’accident, l’imprécision du procédé deviennent des éléments constitutifs de l’image. Ils disent la fragilité de l’existence, l’empreinte du temps sur les êtres et les choses.

Qu’est-ce que le pictorialisme ?

Le pictorialisme est un mouvement photographique qui émerge à la fin du XIXe siècle. Son ambition est de faire reconnaître la photographie comme un art à part entière, au même titre que la peinture ou la sculpture. Pour y parvenir, les photographes pictorialistes cherchent à s’éloigner de la simple reproduction du réel. Ils interviennent sur l’image pour lui donner une dimension poétique et subjective. Leurs photographies se caractérisent par des contours flous, des contrastes atténués, des sujets souvent allégoriques ou intemporels. Ils utilisent des techniques de tirage complexes qui leur permettent de travailler la matière de l’image, d’y laisser une trace manuelle. Le tirage au charbon, à la gomme bichromatée ou à l’huile sont des procédés privilégiés. Ils donnent aux épreuves une texture, un grain, qui les rapprochent de l’estampe ou du dessin.

Alfred Stieglitz. Georgia O’Keeffe with african statuary.1919.

Les grands noms de ce mouvement sont Alfred Stieglitz, Edward Steichen, Robert Demachy ou encore Constant Puyo. Ils ne forment pas une école homogène mais partagent une même volonté d’expression personnelle. Ils défendent l’idée que la photographie n’est pas seulement un enregistrement mécanique du visible, mais une interprétation. Le photographe, par ses choix de cadrage, de lumière, et surtout par son travail en chambre noire, devient un auteur. Il ne s’agit plus de montrer le monde tel qu’il est, mais tel qu’il est ressenti. Le pictorialisme privilégie l’atmosphère, la suggestion, l’émotion. Les sujets sont souvent des paysages brumeux, des portraits intimistes, des scènes de genre qui évoquent la peinture symboliste ou impressionniste.

Robert Demachy. Dans les coulisses. 1904.
Robert Demachy. Study. 1906. Epreuve photomécanique (similigravure) à partir d’une épreuve à la gomme bichromatée.

Sally Mann s’inspire du pictorialisme dans sa recherche d’une photographie qui dépasse le document. Elle en retient le goût pour les techniques anciennes, le travail sur la matière de l’image, et une certaine forme de lyrisme. Mais elle s’en éloigne par la crudité de certains de ses sujets.

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