Un ailleurs où l’évasion est possible
Le XIXe siècle français, marqué par les soubresauts politiques et les transformations industrielles, voit naître une nostalgie particulière pour un âge d’or fantasmé. L’Antiquité grecque et romaine devient alors un territoire imaginaire privilégié, un refuge mental où la bourgeoisie cultivée peut échapper aux anxiétés de la modernité naissante. Cette fascination ne se contente pas des grands mythes héroïques ; elle s’attache surtout à reconstituer minutieusement le quotidien antique, transformant les salons parisiens en écrins archéologiques et les ateliers d’artistes en laboratoires de résurrection historique.

Cette quête d’ailleurs trouve ses racines dans les bouleversements de l’époque : révolutions, industrialisation galopante et émergence d’une société de masse qui déstabilise les repères traditionnels. Face à cette modernité parfois brutale, l’évocation d’une Antiquité harmonieuse et raffinée offre un contrepoint séduisant. Les découvertes archéologiques, de Pompéi aux fouilles de Tanagra, alimentent cet imaginaire en fournissant des détails concrets sur la vie quotidienne antique, matière première idéale pour une reconstitution à la fois érudite et rêveuse.
Héritages et paradoxes : du romantisme au néoclassicisme
L’art du XIXe siècle hérite d’une double tradition qui semble a priori contradictoire. D’un côté, le romantisme cultive la soif d’ailleurs, l’exotisme temporel et géographique, la nostalgie des temps perdus. De l’autre, le néoclassicisme davidien impose une rigueur dans la reconstitution, une précision académique qui refuse l’à-peu-près. Cette tension donne naissance à une voix expressive où le rêve romantique se nourrit de précision quasi scientifique.
Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), figure tutélaire de cette synthèse, incarne parfaitement cette dualité. Élève de David, il perpétue la tradition néoclassique tout en développant une sensibilité particulière pour l’Antiquité. Mais contrairement à son maître qui privilégiait les grands sujets héroïques, Ingres s’intéresse davantage aux détails du quotidien antique, aux textures, aux objets, aux gestes familiers qui humanisent l’Histoire.

Cette approche paradoxale – rêver l’antique avec méthode – influence toute une génération d’artistes qui vont faire de la reconstitution historique un art à part entière. L’érudition devient prétexte à poésie, et la précision archéologique sert de tremplin à l’imagination.
Le goût de l’Antique et la vogue des Tanagras
Rien n’illustre mieux cette passion pour l’intimité antique que l’engouement extraordinaire suscité par les figurines de Tanagra, découvertes massivement vers 1870 dans les nécropoles de Béotie. Ces gracieuses statuettes de terre cuite, représentant des femmes drapées avec élégance, conquièrent immédiatement le cœur de la bourgeoisie européenne.
L’Exposition universelle de 1878 révèle ces « Tanagras » au grand public, qui y voit enfin une Antiquité quotidienne, domestique, presque contemporaine. Fini les héros marmoréens et les dieux olympiens : voici des femmes qui semblent sortir d’un salon parisien, simplement vêtues de péplos. Un chroniqueur de l’époque note avec amusement : « Une Parisienne désavouerait-elle ces gestes coquets et ces draperies qui modèlent le corps en le cachant ? »
