Nusch Eluard diaphane égérie, icône surréaliste ? Nusch…Indiscernable !

Thierry Grizard

4 septembre 2025

Nusch Eluard diaphane égérie, icône surréaliste ? Nusch…Indiscernable !

Elle incarnait la beauté surréaliste absolue. Man Ray la vénérait, Paul Eluard en fit sa muse éternelle. Pourtant, qui connaît vraiment Nusch Eluard ? Derrière l'icône diaphane se cache une femme complexe, calculatrice parfois, toujours indiscernable.

Accès premium

Accédez à l'intégralité des contenus, analyses approfondies et documents exclusifs.

L’enfance et la jeunesse de Maria Benz

Maria Benz naît le 21 juin 1906 à Mulhouse. Cette date elle-même fait l’objet d’incertitudes. Les archives de l’état civil alsacien ont subi les destructions de la guerre. Les témoignages familiaux se contredisent. Maria elle-même contribuera à brouiller les pistes, adoptant selon les circonstances différentes versions de ses origines.

Son père travaille dans le textile. Sa mère tient un petit commerce. La famille appartient à cette bourgeoisie provinciale que la Grande Guerre a fragilisée. Maria grandit dans l’Alsace redevenue française, territoire où les identités se négocient. Elle apprend l’allemand et le français avec la même aisance. Cette plasticité linguistique annonce peut-être sa capacité ultérieure à épouser les métamorphoses.

Man Ray. Nusch Eluard. Vers 1935.

Les biographes du surréalisme ont reconstitué une enfance difficile. Maria aurait fui le foyer familial ou son père aurait été forain et l’aurait engagé sous son chapiteau. D’autres récits existent de son enfance et sa prime jeunesse, artiste de cabaret, danseuse exotique, prostituée occasionnelle, vendeuse, figurante, entraineuse dans les cabarets parisiens… Rien n’est étayé, sinon quelques adresses et de maigres documents officiels. Ces récits participent de la mythologie surréaliste qui privilégie les destins romanesques aux parcours ordinaires. La réalité demeure plus floue.

Ce qui ressort avec certitude, c’est l’arrivée de Maria à Paris vers 1928. Elle a vingt-deux ans. Elle possède cette beauté particulière que recherchent les photographes de l’époque. Ni conventionnelle ni spectaculaire. Une beauté qui se révèle sous l’objectif plutôt qu’elle ne s’impose au premier regard.

La rencontre avec Éluard et Man Ray

La rencontre entre Maria et Paul Éluard relève aussi de la légende. Plusieurs versions circulent. Man Ray prétend les avoir présentés lors d’une soirée en 1929. Éluard situe leur première rencontre dans un café de Montparnasse. Maria elle-même ne livrera jamais sa version des faits.

Paul Éluard a trente-quatre ans. Il sort d’un mariage difficile avec Gala, partie avec Salvador Dalí. Le poète traverse une période de doute créatif et sentimental. La rencontre avec Maria intervient au moment où il cherche à renouveler son inspiration.

Man Ray, Paul et Nusch Eluard, vers 1936

Man Ray photographie Maria dès 1930. Ces premiers clichés révèlent une femme qui sait habiter l’objectif. Elle ne pose pas, elle habite l’image. Cette capacité à se transformer devant l’appareil photographique constituera l’une de ses spécificités. Man Ray comprend immédiatement le potentiel de ce nouveau modèle.

La transformation de Maria en Nusch s’opère progressivement. Le surnom vient d’Éluard. Il évoque la douceur slave que le poète projette sur cette femme d’origine alsacienne. Cette métamorphose onomastique accompagne l’entrée de Maria dans l’univers surréaliste. Elle abandonne son identité civile pour devenir une créature de l’imaginaire collectif du groupe.

L’entrée dans le cercle surréaliste, Nusch en icône diaphane

En 1934, Paul Éluard épouse Maria. Elle devient officiellement Nusch Éluard. Cette union marque son intronisation définitive dans le cercle surréaliste. Nusch succède à Nadja dans l’iconographie du mouvement. Mais là où Nadja incarnait la femme-enfant mystérieuse et fragile, Nusch représente la femme solaire et accessible.

Man ray. Nusch Eluard.
Man Ray. Nusch Eluard. Vers 1935.

André Breton accueille favorablement cette nouvelle venue. Nusch possède cette qualité que le chef de file du surréalisme apprécie chez les femmes : elle inspire sans revendiquer. Elle stimule la création masculine sans prétendre créer elle-même. Cette posture correspond parfaitement aux attentes du groupe à l’égard de ses égéries.

Nusch développe rapidement sa propre esthétique. Elle privilégie des tenues simples qui mettent en valeur sa silhouette élancée. Ses cheveux ondulés, souvent dénoués, créent un halo lumineux autour de son visage. Cette recherche esthétique ne relève pas de la coquetterie mais d’une véritable stratégie visuelle. Nusch comprend qu’elle doit incarner un idéal plastique.

Nusch Eluard à Cadaquès. 1930.

Les autres membres du groupe adoptent rapidement Nusch. Elle possède cette sociabilité naturelle qui facilite les relations. Contrairement à d’autres compagnes d’artistes, elle ne suscite pas de jalousies. Sa présence apaise plutôt qu’elle ne divise. Cette harmonie contribue à faire d’elle l’icône consensuelle du surréalisme des années trente.

Nusch et Facile

En 1935 paraît Facile, ouvrage qui consacre définitivement Nusch comme muse surréaliste. Ce livre résulte d’une collaboration triangulaire entre Paul Éluard, Man Ray et Nusch elle-même. Le poète écrit, le photographe fixe, la muse s’offre. Cette répartition des rôles masque une réalité plus complexe.

Facile. Man Ray. Paul Eluard. Nusch Eluard.

Nusch participe activement à l’élaboration du projet. Elle suggère des poses, influence les cadrages, propose des variations. Son corps devient le territoire d’une exploration esthétique collective. Les photographies de Man Ray révèlent une femme qui maîtrise parfaitement les codes de la représentation érotique.

Les poèmes d’Éluard célèbrent la sensualité de Nusch sans tomber dans l’obscénité. Le poète trouve dans ce corps offert une source d’inspiration renouvelée. Sa poésie gagne en fluidité et en sensualité. Facile marque un tournant dans l’œuvre d’Éluard. Il découvre une veine lyrique qu’il explorera jusqu’à la fin de sa vie.

L’ouvrage connaît un succès scandaleux. La critique bourgeoise s’indigne de ces nus artistiques. Cette réception polémique renforce la notoriété de Nusch. Elle devient l’incarnation de la liberté surréaliste face aux conventions morales. Cette image de femme libérée lui colle à la peau pour le restant de ses jours.

La carrière en pointillée de modèle

Nusch développe parallèlement une activité de modèle professionnel. Elle pose pour de nombreux photographes de l’époque. Lee Miller la photographie à plusieurs reprises entre 1937 et 1939. Ces séances révèlent une Nusch plus sophistiquée, influencée par les codes de la mode internationale.

Cet article est réservé aux membres

0

Subtotal